L'important c'est d'aimer
Rien à voir avec la chanson d'Obispo, non, non ! On en est loin, très loin, à des milliards de kilomètres ! Ici, on n'offre rien, hormis son malheur, son dégoût de la vie, sa détresse et ses angoisses. Parce que l'amour, c'est souvent ça, hélas.
1974. D'Andrej Zulawski, d'après le roman de Christopher Franck : "La
nuit américaine". Avec Romy Schneider, Fabio Testi, Jacques Dutronc,
Claude Dauphin, Michel Robin et Klaus Kinski...
Dès cette première scène, où une réalisatrice hurle à Nadine (Romy Schneider) de dire "Je t'aime" au type qui est en train de se vider de son sang, j'ai failli abandonner.
Je n'en pouvais plus d'entendre cette bonne femme brailler "Je t'aime !" encore et encore, comme Lara Fabian en pleine indigestion de moules-tripes ! Mais j'ai tenu bon, car il était cinq heures du mat' et j'avais aucune envie de quitter ma couette pour aller chercher un autre DVD. Finalement, je me suis vite dit que j'avais bien fait...
L'important c'est d'aimer... ? Mais aucun des personnages de ce film n'en est capable. Leur façon d'aimer est destructrice, diabolique. Centrés sur eux-mêmes, ils n'ont rien d'autre à partager que leurs angoisses, leurs malaises, leurs rancœurs, et leur haine de la vie. Nadine, actrice paumée, et qui joue les périprostiputes à l'écran pour gagner sa vie :
- Ne faites pas de photos, s'il vous plaît... Je suis une comédienne, vous savez. Je sais faire des trucs bien.
Mais Servais (Fabio
Testi), reporter photographe, fera vite le parallèle entre Nadine et
les jeunes femmes qui, droguées par son principal client, Mazelli
(Claude Dauphin), participent à des orgies sexuellement caligulesques
que Servais photographie.
Sans cesse revient cette image de grimage, de clown triste qui effraie souvent plus qu'il ne fait rire. Car il nous ramène à nos propres peurs d'artistes ou de passionnés : incompréhension, solitude, perdition, folie... Faut-il se maquiller pour masquer ce que l'on ne peut partager, et pour mettre une barrière entre ce monde qui nous effraie parfois autant qu'il peut nous dégoûter ? Faut-il se rendre plus absurde que ce qui nous entoure pour avoir la sensation d'être à sa place ici bas ?
Mazelli) - J'ai beau avoir l'habitude, ça me révulse. C'est du pognon, mais c'est dégueulasse !
Mazelli et son ignoble bonne femme, sadique et folle.Un
couple qui se fait du pognon en organisant d'immenses partouzes, avec
des drogués et des paumés (non sans nous rappeler certaines scènes
d'"Orange Mécanique")
Jacques (Jacques Dutronc), sans doute le personnage le plus attendrissant. Cinéphile, collectionneur de photos de tournage... qui se suicidera de manière horrible ! Servais dira qu'il aurait dû le faire avant de pourrir la vie de Nadine. Mais lui-même entraînera Romy dans une tornade malsaine, lui dégotant un rôle dans une troupe de comédiens ratés. Comme si les trois protagonistes activaient les soufflets pour entretenir le feu de leur enfer. Chacun, ne connaissant que la noirceur, n'a rien d'autre à offrir que du poison. Soigner le mal par le mal ? Mauvaise formule... C'est un truc réservé à l'homéopathie ! Ou alors, pour résoudre le problème, n'hésitons pas à employer carrément les fortes doses, comme Jacques. Jacques, que l'on savait impuissant physiquement, moralement aussi. Un peu lâche, se réfugiant dans sa passion, dans la facilité. Et qui sera pourtant le seul à avoir la force, la puissance de mettre un terme à sa souffrance.
Jacques entre ses deux potes cinéphiles, avant qu'il n'agonise dans les WC puants d'un bistrot.
Jacques
aura fanfaronné sans cesse, feignant d'avoir une vie "normale", avec la
femme qu'il a choisie et "sauvée", comme un homme viril. Mais il aura
évoqué à plusieurs reprises son homosexualité. Et Andrej Zulawski
révélera, lors de l'interview bonus, qu'une scène importante du film a
été coupée : on y voit les parents de Jacques qui n'ont pas su
comprendre leur fils, et l'ont rejeté. L'homosexualité du personnage
aurait-elle outré les producteurs, tout comme la scène du suicide de
Jacques, qui a dû être réduite car ces dames de la production la
jugeaient trop choquante, voir vomitive !
(Karl-Heinz) - On est tous des guignols, avec des vies à la con !
Entre Servais et Jacques, je choisis finalement Karl Heinz (Klaus Kinski).
Comédien conscient de la médiocrité de sa vie mais qui a appris à vivre
avec, tandis que les autres la subissent encore. Il est finalement le
personnage qui me plaît le plus. Celui que je parviens à admirer. Il ne
se lamente pas, ne cherche pas à aimer (qui signifie dans ce film :
"entretenir le malheur de l'autre, et le contaminer par de nouveaux").
Il est fort, réellement libre et indépendant. Et d'ailleurs il finit
par partir, nous donnant envie de le suivre. Il est le seul qui, à mon
sens, mérite réellement de voir sa carrière prendre un tournant plus
glorieux.
(Nadine) - Je t'aime.
Nadine
finira par prononcer le "Je t'aime" qu'elle refuse de dire au début,
sur le tournage du film pornographique. Elle le prononcera par pitié.
Mais par pitié pour elle, qui va se retrouver seule, et non pas pour
Servais, en pleine agonie.
L'amour n'est pas ici traduit comme un sentiment de positivisme et de générosité. Il est abject, égocentrique, effrayant et totalement haïssable par le spectateur. On ne sort pas indemne de cette séance et, n'étant pas maso, je ne visionnerai pas une deuxième fois "L'important c'est d'aimer". Je n'en aurai d'ailleurs sans doute pas besoin, car j'ai l'impression que je me souviendrai toujours de chaque scène, comme si j'avais réellement partagé quelques temps la vie de ces pantins désenchantés. Belle réussite, monsieur Zulawski !